DSCG Droit des sociétés : commentaire d’arrêt
Cass. com., 13 janvier 2021, n° 18-24.853 (Droit des sociétés)
Dans le cadre de ses préparations au DSCG, Ipesup propose un commentaire des principaux arrêts en relation avec le programme de Droit en UE 1, par Stephen ALMASEANU, vice-procureur chargé des affaires commerciales au tribunal de commerce de Paris, professeur à l’Ipesup.
(Gaz. Pal., 15 juin 2021, n° 22, p. 74, obs. Matthieu Buchberger)
(Rev. Soc., 2021, p. 248, obs. Alain Viandier)
Cet arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 13 janvier 2021 est digne d’attention car il revient sur les possibilités de désignation, dans une société, d’un administrateur provisoire et d’un mandataire ad hoc, et permet de préciser la différence entre les deux.
De façon schématique, la société, surtout à responsabilité limitée (SARL, SA, SAS, etc.) est normalement dirigée par des dirigeants qui représentent la majorité des actionnaires ou associés. Dans ce type de sociétés, le minoritaire, et a fortiori le minoritaire ne disposant pas d’une minorité de blocage, n’est pas dans une situation avantageuse car il ne peut que s’opposer aux décisions des autres, et ne peut le faire avec succès que dans les rares cas où, augmentant les engagements des actionnaires, ces décisions nécessitent l’unanimité (article 1836 alinéa 2 du code civil).
Sinon, c’est la jurisprudence et parfois la loi qui donnent aux minoritaires le pouvoir de s’opposer plus efficacement. On pense immédiatement, bien sûr, à la jurisprudence sanctionnant les abus de majorité annulant les décisions prises contrairement à l’intérêt général de la société et dans l’unique dessein de se favoriser au détriment des minoritaires (Cass. com., 18 avril 1961, arrêt Schumann-Picard).
On peut également penser à la création de l’administrateur provisoire par le Tribunal de commerce puis la Cour d’appel de Paris dans le fameux arrêt Fruehauf France, CA Paris, 22 mai 1965 : en cas d’urgence, et au nom de l’intérêt social, le juge peut, si on le lui demande, nommer un administrateur provisoire pour gérer, pendant un temps qu’il détermine, la société à la place des dirigeants. Depuis, la Cour de cassation est venue approuver cette jurisprudence, en précisant toutefois son caractère exceptionnel : pour qu’un administrateur provisoire soit nommé, encore faut-il que le fonctionnement des organes sociaux soit anormal et que l’intérêt social soit menacé d’un péril imminent ou d’un trouble manifestement illicite (voir notamment Cass. com., 25 janvier 2005, n° 00-22.457 et, plus près de nous, Cass. civ. 3e, 16 novembre 2017, n° 16-23.685).
On peut enfin penser au mandataire ad hoc (celui du droit des sociétés, pas le mandataire ad hoc des procédures collectives de l’article L. 611-3 du code de commerce) : lui est soit prévu par certains textes, par exemple l’article L. 225-103 appliqué dans le présent arrêt (pour convoquer une assemblée générale), soit peut voir sa désignation demandée en dehors de ces textes spéciaux.
Mais attention, il ne faut pas confondre, et c’est tout l’intérêt de l’arrêt du 13 janvier 2021 de le rappeler. L’administrateur provisoire et le mandataire ad hoc, en effet, même s’ils ont des points communs, sont deux institutions différentes :
– L’administrateur provisoire a beaucoup plus de pouvoirs que le mandataire ad hoc : il dessaisit, par sa nomination, les dirigeants, et va se voir attribuer par le président du tribunal de commerce un véritable pouvoir de gestion de la société, pour mettre fin au péril ou au trouble. Cette atteinte grave aux pouvoirs des dirigeants explique que les conditions de sa nomination soient strictes ;
– En revanche, le mandataire ad hoc ne dessaisit nullement les dirigeants sociaux de leurs pouvoirs : il est nommé par le président du tribunal de commerce pour faire quelque chose (par exemple, l’article L. 225-103 ici en jeu prévoit il la nomination d’un mandataire ad hoc pour convoquer l’assemblée générale quand le conseil ne le fait pas), mais le président, plus largement, peut lui confier de multiples missions, notamment de médiation, mais pas de gestion, en général, de la société.
En l’espèce, dans l’arrêt ici commenté, la cour d’appel avait refusé la demande faite de nomination d’un mandataire ad hoc pour que lui soit donnée comme mission de convoquer une AG ayant comme objet la révocation d’administrateurs et la nomination d’autres, en considérant qu’il n’y avait ni péril imminent, ni trouble. C’était une confusion avec les conditions de nomination d’un administrateur provisoire, ce qui entraîne la cassation de l’arrêt d’appel :
« 18. Pour rejeter la demande de désignation d’un mandataire ad hoc de la société Figesbal avec mission restreinte de convoquer l’assemblée générale des actionnaires de la société ayant pour ordre du jour la révocation de MM. B. et D. de leurs mandats d’administrateurs et leur remplacement par les sociétés Figespart et Cofical et de convoquer le conseil d’administration de cette société à l’effet d’y voir désigner son nouveau président et, le cas échéant, un directeur général, l’arrêt retient que la désignation d’un mandataire par le juge des référés, qui est toujours subordonnée soit à l’imminence d’un dommage soit à la démonstration d’un trouble manifestement illicite, n’est prévue de manière supplétive que dans l’hypothèse d’un dysfonctionnement avéré au sein de la société.
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- En statuant ainsi, alors que la désignation d’un mandataire ad hoc en application sur l’article L. 225-103, II, 2 du code de commerce n’est subordonnée ni au fonctionnement anormal de la société, ni à la menace d’un péril imminent ou d’un trouble manifestement illicite, mais seulement à la démonstration de sa conformité à l’intérêt social, la cour d’appel a violé le texte susvisé (…) »
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On le voit, la seule condition commune de désignation entre l’administrateur provisoire et le mandataire ad hoc est la nécessité de conformité de cette désignation à l’intérêt social. Mais est-ce une bonne idée de contrôle de la part des juges ? Comment apprécier, pour la désignation du mandataire ad hoc, la conformité avec l’intérêt social ? Ici, il s’agissait de réunir une assemblée générale pour révoquer deux administrateurs et en nommer d’autres. Serait-il admissible que le juge saisi rejette cette demande en ne trouvant pas opportunes les révocations prévues ?
C’est toujours le même problème qui se pose quand on fait référence à l’intérêt social : comme il n’en existe pas de définition précise, on peut légitimement se méfier, au nom de la prévisibilité et, partant, de la sécurité juridique, du choix d’un tel critère…
En tout cas, pour une application de ce critère de l’intérêt social dans la nomination du mandataire de l’article L. 225-103, voir également CA Paris, 17 décembre 2020, à propos de ce qui était encore à l’époque la société en commandite par actions Lagardère : la Cour, pour rejeter la demande des deux principaux actionnaires en capital, la société Vivendi (28,81 %) et les fonds d’investissement Amber Capital (19,93 %), lesquels faisaient valoir l’un et l’autre qu’il y avait lieu de convoquer l’assemblée générale aux fins de remplacer plusieurs membres du conseil de surveillance, a alors affirmé que la requête en nomination d’un mandataire devait « être conforme à l’intérêt social et non à la satisfaction des seules fins propres des demandeurs ».
Le rôle du juge n’est pas prêt de s’affaiblir en droit des sociétés !