L’oral d’admission de Sciences Po Paris, modifié avec la réforme du concours en 2021, obéit désormais à une nouvelle ritualisation au sein de laquelle est remis en selle le « commentaire d’image » déjà utilisé par le passé.
Les membres de la commission soumettront au candidat deux images d’actualité aussi bien que de la culture populaire ou du champ artistique. Le candidat aura quelques instants pour les observer et en choisir une. Il pourra alors expliquer son choix, décrire l’image, la mettre en contexte, l’interpréter … lors d’un échange de 10 à 15 minutes avec le jury sur les 30 minutes théoriques de l’oral. Le commentaire d’images vise à vérifier compétences de synthèse et d’analyse, capacités d’interprétation et d’argumentation. Mais c’est un exercice assez risqué, en réalité, qui, du point de vue des compétences, n’est pas moins discriminant que l’écrit.
Nous vous proposons de le découvrir ici, à travers un exemple de sujet.
Sciences Po Paris : Portrait officiel du Président de la République
Description
Portrait officiel du Président de la République, Emmanuel MACRON. Une tradition républicaine qui remonte aux débuts de la troisième République. Ce portrait est signé Soazig de la MOISSONNIÈRE, photographe de la Présidence. Pris le samedi 24 juin en fin de journée à l’Elysée par sa photographe officielle Soazig de la Moissonnière, le cliché a été diffusé le 29 juin et a désormais vocation à être installé dans toutes les mairies de France. Le président pose debout en costume sombre, cravate bleue, les deux mains sur son bureau, contre lequel il s’appuie et sur lequel sont notamment disposés trois volumes de La Pléiade et une horloge. Les drapeaux français et européen l’entourent. Derrière le chef de l’État, une fenêtre ouverte donne sur le jardin de l’Élysée.
La mise en scène a été sérieusement étudiée :
- Le bureau
- La fenêtre ouverte
- La légion d’honneur
- Le duo de drapeaux
- L’horloge à double cadran
- Trois livres
- Le coq dans l’iPhone
Mise en contexte
Emmanuel MACRON est le huitième Président de la Vème République française. Il est le plus jeune président de l’histoire de la République française, âgé de 39 ans au début de son mandat.
- Charles de Gaulle : 8 janvier1959 – 28 avril 1969.
Alain Poher, par intérim : 28 avril 1969 – 20 juin 1969. Il exerce les fonctions de président par intérim en raison de la démission de son prédécesseur.
- Georges Pompidou : 20 juin 1969 – 2 avril 1974 (décédé en cours de mandat).
Alain Poher, nouvel intérim : 2 avril 1974 – 27 mai 1974, à la suite de la mort de Georges Pompidou.
- Valéry Giscard d’Estaing : 27 mai 1974 – 21 mai 1981.
- François Mitterrand : 21 mai1981 – 17mai1995.
- Jacques Chirac : 17 mai 1995 – 16 mai 2007.
- Nicolas Sarkozy : 16 mai 2007 – 15 mai 2012.
- François Hollande : 15 mai 2012 – 14 mai 2017.
- Emmanuel Macron : depuis le 14 mai 2017. Il est élu avec 66,10 % des suffrages exprimés au second tour de l’élection du 7 mai 2017 (face à Marine Le Pen) (25,44 % d’abstention).
Fondateur du mouvement « En Marche ! », créé le 6 avril 2016, il l’a dirigé jusqu’à sa victoire à l’élection présidentielle le 7 mai 2017. Né en décembre 1977 à Amiens, dans la Somme, Emmanuel MACRON a étudié la philosophie et les affaires publiques avant d’intégrer l’Ecole Nationale d’Administration (ENA), dont il a été diplômé en 2004. Emmanuel MACRON a alors intégré l’Inspection Générale des Finances (IGF) où il a travaillé quatre ans avant de rejoindre le secteur bancaire. Il est devenu, en 2012, secrétaire général adjoint de la Présidence de la République. Il a quitté ses fonctions en juillet 2014 avant de devenir ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique d’août 2014 à août 2016.
Interprétation : Pouvez-vous décrypter les principaux symboles du portrait ?
Le bureau
Emmanuel Macron a décidé de faire sa photo officielle dans son bureau, appuyé contre la table. En choisissant son cadre de travail, la volonté de se montrer aux affaires est mise en évidence. Comme l’ensemble de ses prédécesseurs à l’exception de François Mitterrand, Emmanuel Macron a opté pour une pose debout, dans un environnement très vertical qui cadre avec la posture d’autorité que chaque président de la République veut incarner.
Cette posture a-t-elle été empruntée à son Premier ministre ?
La fenêtre ouverte
Mais le bureau d’Emmanuel Macron n’est pas fermé. Alors qu’on accuse les présidents de la République de se replier dans leur tour d’ivoire élyséenne, le chef de l’Etat entend montrer que sa présidence sera ouverte ; pas seulement sur les jardins mais aussi sur le monde. « La photo a été prise lors d’une chaude journée d’été », tempère-t-on à l’Elysée.
La Légion d’honneur
Il en est le grand maître depuis son élection. A l’instar de Valéry Giscard-d’Estaing, François Mitterrand, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy ou François Hollande, Emmanuel Macron a choisi de la faire figurer de manière discrète sur le revers de sa veste. Charles de Gaulle et Georges Pompidou, avaient, eux, opté pour un très solennel collier de Grand maître de la Légion d’honneur autour du cou.
Le duo de drapeaux
C’est une figure imposée depuis Nicolas Sarkozy. A côté du drapeau français doit désormais figurer le drapeau européen. Mais contrairement à François Hollande et Nicolas Sarkozy qui les avaient placés côte-à-côte, Emmanuel Macron a choisi de se placer au centre des deux, une position qu’il occupe aussi sur l’échiquier politique. Ils sont placés de manière parfaitement symétrique à sa droite (le tricolore) et à sa gauche (l’européen), comme s’il souhaitait être lui-même le trait d’union entre deux entités qu’il aimerait réconcilier durant son quinquennat. « C’est le sens de mon engagement. « La France ne peut pas réussir sans une Europe forte, et l’Europe ne peut pas avancer sans une France forte. Nous avons destin lié, c’est cela que cette photo dit », a commenté l’intéressé lors d’un déplacement en Allemagne.
L’horloge à double cadran
L’horloge à sa gauche représente le temps long, la fonction présidentielle. Durant sa campagne, Emmanuel Macron avait prévenu qu’il serait le « maître des horloges« . L’expression qui s’est imposée depuis son élection est parfaitement illustrée sur le portrait officiel par l’horloge à double cadran posée sur le bureau derrière son bras gauche ; il est 20h20, l’heure à laquelle la photo a effectivement été prise. Emmanuel Macron confirme d’une certaine manière qu’il continuera à imprimer le tempo. Pour l’anecdote, il s’agit de l’horloge présente lors du conseil des ministres ; Christophe Castaner, alors porte-parole du gouvernement, avait reconnu qu’elle avait disparu lors des semaines précédant cette photographie, avant de faire sa réapparition après …
Trois livres
Si Emmanuel Macron n’a pas fait le choix du cadre de la bibliothèque de l’Elysée pour la prise de vue, il a néanmoins placé des livres en évidence, afin de montrer qu’il s’inscrit ainsi dans une tradition de présidents lettrés ou amateurs de littérature. Mais quels sont donc ces trois livres disposés sur le bureau présidentiel ? Celui sur sa droite, ouvert à une page choisie par Emmanuel Macron, ce sont Les mémoires de guerre du général de Gaulle. En choisissant cet ouvrage du père de la Ve République, qui incarne une figure au-dessus des partis, Emmanuel Macron confirme sa volonté de s’inscrire dans une lignée trans-partisane qui bouscule le clivage gauche-droite.
Sur sa gauche, figurent deux livres écrits par deux de ses écrivains préférés : Le rouge et le noir de Stendhal, un roman d’initiation qui retrace la trajectoire de Julien Sorel projeté dans un monde qu’il ne maîtrise pas et dont il doit apprendre tous les codes. Quant aux Nourritures terrestres d’André Gide, il est souvent présenté comme une œuvre célébrant la vie et le désir.
Le coq dans l’iPhone
Il faut zoomer pour voir le coq -symbole de la France depuis l’époque gauloise (à la suite d’un jeu de mots, le terme latin gallus signifiant coq- se refléter dans l’un des deux iPhones d’Emmanuel Macron. Pour un responsable politique qui veut faire de la France « une smart-nation« , cet alliage entre tradition et modernité est là pour rappeler qu’il n’envisage pas de rompre avec les racines du pays.
Story telling : Quels messages Emmanuel Macron a-t-il cherché à faire passer dans son portrait officiel ?(d’après la sémiologue Elodie Mielczareck) :
L’image semble s’éloigner des précédents portraits. On est clairement sur des codes esthétiques, là où le prédécesseur d’Emmanuel Macron, François Hollande, avait choisi des codes plutôt réalistes avec Raymond Depardon, dont le portrait donnait l’impression d’une photo prise sur le vif.
Puis vient la structure sous-jacente. Cette photographie est dichotomique : elle réunit l’ancien monde et le nouveau monde, comme Emmanuel Macron aime à les appeler. D’un côté on a la vieille horloge, le vieux téléphone et les livres et de l’autre l’iPhone.
On voit à la fois l’intérieur du bureau et l’extérieur des jardins, là où ses prédécesseurs avaient choisi : l’intérieur du bureau pour François Mitterrand et Nicolas Sarkozy, quand François Hollande et Jacques Chirac avaient opté pour l’extérieur. Emmanuel Macron réunit les deux, ce qui est très congruent par rapport à sa ligne idéologique. Un résultat conforme au personnage et à l’image qu’il tente d’incarner depuis sa prise de fonction analyse Arnaud Mercier, professeur de communication politique. « On voit bien qu’il a essayé de trouver une pose et un cadrage qui combine à la fois, l’incarnation d’une photo présidentielle assez classique, et une volonté de renouveler le genre. C’est une forme de compromis qui lui ressemble bien », résume-t-il.
Critique :
Pour la sémiologue Élodie Mielczareck, spécialisée dans la communication politique, le président « maîtrise les symboles » en usant des « codes de la publicité ».
Sur les réseaux sociaux, ce portrait a été beaucoup comparé à celui de Barack Obama, êtes-vous d’accord ?
Emmanuel Macron a une position centrale, alors qu’habituellement, on voit des présidents légèrement de trois-quarts. De plus, il esquisse un léger sourire et sa position est assez inhabituelle, presque assise sur son bureau.
Mais ce portrait est un peu plus recherché, avec beaucoup de références, là où celui d’Obama était plus classique. On pourrait penser cette photographie comme une sorte de vanité moderne, avec l’orfèvrerie qui représente la richesse, l’horloge qui représente la vacuité du temps qui s’écoule, le livre qui représente la connaissance ouverte… Les signaux religieux sont remplacés par des signaux républicains : les drapeaux.
Outre cette référence implicite qui date de la Renaissance, on trouve une référence plus moderne avec la mise en abyme devant la fenêtre ouverte : la photo est une ouverture sur le bureau qui est une ouverture sur les jardins. Ce sont des jeux qui ont été très utilisés par les surréalistes, comme Dali ou Magritte (ici, La décalcomanie, 1966, huile sur toile, 81 × 100 cm, Centre Pompidou).
En quoi ce portrait reflète-t-il la stratégie de communication d’Emmanuel Macron ?
C’est sur le compte Twitter du président qu’a été d’abord publié le cliché. « L’idée est de souligner l’un de ses marqueurs : il a un usage moderne des outils de communication, comme les réseaux sociaux numériques. Il sait très bien qu’en y publiant son portrait officiel, ça va faire le buzz et que l’engouement prendra tout seul », explique Arnaud Mercier. Emmanuel Macron a compris qu’aujourd’hui, avec la génération Snapchat, l’image est bien plus opérante que les mots. Ici on est presque sur les codes de la publicité.
Son portait officiel est une image très contrôlée, très travaillée. Chaque chose est à sa place. La symétrie dans la composition renvoie à sa position centrale. Cette photo, c’est l’art de la synthèse, qui combine des éléments de classicisme et de modernité. Emmanuel Macron maîtrise les symboles.
Sources :
A lire et regarder absolument :
https://www.francetvinfo.fr/culture/arts-expos/photographie/tous-les-portraits-officiels-des-presidents-depuis-le-general-de-gaulle_3312635.html, et l’excellente analyse de l’émission Karambolage d’ARTE consacré à « la photo présidentielle », https://www.youtube.com/watch?v=x0ki-XTSzzM |