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Prépa ECG : analyse du nouveau programme d’HGGMC

Olivier Gomez, professeur en classe préparatoire économique et commerciale à l’IPESUP, analyse le nouveau programme d’HGGMC de la prépa ECG. 

Publié au Bulletin officiel spécial du 11 février 2021 du ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, le nouveau programme d’Histoire, Géographie et Géopolitique du Monde Contemporain (HGGMC) s’appliquera aux étudiants de la classe préparatoire économique et commerciale générale (ECG) à compter de septembre 2021. Fixant des objectifs en termes de compétences, de notions et de connaissances, les programmes scolaires et universitaires, révèlent, souvent en creux, des choix pédagogiques et épistémologiques plus ou moins en rupture avec ceux des programmes passés. La lecture de ces textes institutionnels est donc toujours instructive, tant pour les enseignants chargés de les mettre en œuvre que pour les étudiants ou les simples citoyens.

Censé tenir compte des conséquences de la réforme du Lycée Général et Technologique mise en œuvre par le Ministère de l’Education Nationale, le nouveau programme d’HGGMC de la prépa ECG s’inscrit cependant davantage en continuité qu’en rupture avec le précédent programme de 2013, tant sur la forme que sur le fond.

Les objectifs de cet enseignement sont précisés et plus explicitement formulés qu’en 2013 et la géopolitique est davantage mise en avant que l’histoire et la géographie. L’architecture et les thèmes des quatre modules semestriels sont conservés, leur structure interne étant toutefois fortement réorganisée. L’impact de la création d’une spécialité Histoire, Géographie, Géopolitique et Sciences Politiques au Lycée sur le programme de classe préparatoire apparait relativement limité. Enfin, le nouveau programme rend compte des principales transformations géopolitiques intervenues depuis 2013.

 

La géopolitique, un « fil directeur » au service de compétences explicitement formulées dans le nouveau programme d’HGGMC

En 2021, le programme d’HGGMC s’adresse aux « futurs entrepreneurs » et non plus aux « futurs acteurs de l’économie », formulation plus large adoptée en 2013. Il s’agit d’utiliser les mots de l’époque. En 2021, on ne parle donc plus des « écoles de commerce et de gestion » mais des « écoles de management ».

De façon moins anecdotique, il a semblé nécessaire aux concepteurs du nouveau programme d’HGGMC de justifier l’existence de cet enseignement en allant au-delà des objectifs « d’acquisition de repères essentiels pour la culture » qui figuraient dans le programme de 2013. Un nouveau paragraphe est spécifiquement consacré aux « compétences essentielles » qui sont travaillées en HGGMC depuis des années, mais qui sont désormais explicitement formulées : capacité à raisonner « à des échelles d’espace et de temps différentes », à « savoir poser une problématique et y répondre par une démonstration appropriée », à « comprendre les points de vue et les enjeux d’acteurs différents », à « pouvoir s’exprimer de manière efficace et rigoureuse à l’écrit et à l’oral » ou à « être un acteur critique du monde contemporain »… Ces différentes compétences sont toutefois posées sans hiérarchie, « l’initiation à la prospective » étant ainsi insérée sans raison entre la capacité à construire une démonstration et la capacité à s’exprimer de façon rigoureuse.

Le nouveau programme d’HGGMC, s’il promeut de manière louable les sciences humaines, n’élude cependant par les « guerres de tranchée » opposant des disciplines faisant partie des humanités. En 2013, le programme proposait de « combiner », c’est-à-dire, au sens premier, « d’unir ensemble », les approches géographiques, historiques et géopolitiques. Désormais, il s’agit « d’articuler » ces disciplines qui doivent donc rester séparées. « L’hybridation », autre mot à la mode, des savoirs ne saurait en effet aboutir à « confondre leurs démarches respectives ».  A mots couverts, le nouveau programme d’HGGMC rend ici compte de débats épistémologiques mais aussi de la « lutte des places » entre des disciplines complémentaires mais aussi concurrentes.

En 2021, c’est à l’évidence la géopolitique, promue en tant que « fil directeur » du programme qui l’emporte sur les matières vénérables que sont l’histoire et la géographie. Le nombre d’occurrences de ces dernières est quasiment identique dans le programme de 2013 et dans celui de 2021 (cinq à sept occurrences). Au contraire, deux autres termes connaissent une utilisation renforcée en 2021 : la géoéconomie, qui traduit la montée en puissance de l’arme économique dans la politique de puissance des Etats, est mentionnée cinq fois en 2013 et dix fois en 2021. Quant à la géopolitique, elle est citée vingt-cinq fois dans le programme de 2013… et trente-six fois dans le programme de 2021.

Pour télécharger la figure 1, cliquer sur l’image ci-dessous :

 

 

Les nouveaux programmes du secondaire ont eu un impact limité sur l’HGGMC

Depuis la rentrée 2019, les lycéens peuvent suivre en classe de Première et de Terminale une spécialité « Histoire, Géographie, Géopolitique et Sciences Politiques » (HGGSP) où sont abordés plusieurs sujets du programme d’HGGMC de la classe préparatoire : la puissance, les frontières, les mers et les océans… Probablement pour ne pas désavantager les lycéens qui n’auraient pas suivi cette spécialité, le programme d’HGGMC reprend tous ces thèmes comme s’ils étaient nouveaux pour tous les préparationnaires.

En dehors de quelques références sur la « capacité à s’exprimer à l’oral » ou sur le rôle des « opinions publiques » (un thème de spécialité en HGGSP), le programme d’HGGMC de la classe préparatoire semble d’ailleurs peu impacté par la réforme du lycée.

L’un des points aveugles de cette réforme du lycée, qui n’a d’ailleurs suscité que très peu de débats, est le caractère encyclopédique tout autant qu’expéditif du programme d’histoire de tronc commun, notamment en Terminale. On peut rappeler à titre d’exemple que la période qui court de 1929 à 1945, dans le monde et en France, est désormais traitée en « 13 à 15 heures ». Durant ce laps de temps, les lycéens devront à la fois s’intéresser à la dépression des années 1930, à l’Estado Novo mis en place au Brésil par Getulio Vargas, au fonctionnement des régimes totalitaires en Europe, sans s’appesantir sur leur mode d’accession au pouvoir et à la Seconde guerre mondiale dans le monde et en France ! Ce temps contraint induit un très faible approfondissement des notions, des explications et des connaissances et un faible ancrage des connaissances par les lycéens. La réforme du lycée est donc peu susceptible de remédier au déficit chronique de maîtrise de l’histoire du XXe siècle des étudiants de première année de classe préparatoire.

 

L’architecture générale du nouveau programme d’HGGMC est conservée mais sa structure est réorganisée

La continuité du programme d’HGGMC de la classe préparatoire entre 2013 et 2021 concerne d’abord l’architecture générale des quatre modules semestriels qui reste identique. En première année, les étudiants travailleront à partir de 2021 comme depuis 2013 sur les mutations du monde « au XXe siècle » et non plus « depuis 1913 », puis sur la mondialisation contemporaine. La principale modification concerne la borne chronologique des « années 1990 », désormais supprimée, ce qui permet d’élargir les approches jusqu’à « nos jours ». La suppression de cette limitation temporelle était devenue indispensable au fil des années et n’appelle pas de commentaires.  De même, la deuxième année reste consacrée à l’étude géopolitique des grands ensembles régionaux du monde (Afrique, Asie, Amériques, Europe, Proche et Moyen-Orient). Par rapport au programme de 2013, l’Afrique est promue au rang de « continent » alors que l’Asie passe du statut de « continent multipolaire » à celui de « région multipolaire ».

Au-delà des débats sémantiques, les concepteurs du programme en ont modifié de manière significative la structure interne (voir Figure 1 lien à télécharger). Les développements consacrés à la France ont ainsi été déplacés et regroupés à la fin du deuxième module de première année. Cela n’interdit bien évidemment pas de faire appel à des exemples relatifs à la France dans le premier module. Dans la même logique, le sous-module consacré aux transformations du monde après 1990 passe du second au premier module. Enfin, les séquences consacrées aux transformations de l’économie mondiale sont regroupées à la fin du premier module. Cette nouvelle organisation renforce la cohérence et la progressivité du programme de première année.

Une autre innovation du programme de 2021 est de proposer des séquences introductives permettant de clarifier les concepts et les enjeux de chaque grande question abordée. C’est par exemple le cas pour la géopolitique et les relations internationales ou pour les relations entre croissance et développement, deux séquences judicieusement placées avant d’entamer l’approche historique du XXe siècle. Le programme de deuxième année porte la marque de cette volonté de clarifier les enjeux généraux avant d’aborder les questions particulières :  dans le quatrième module, la géopolitique des Amériques de la région asiatique est désormais abordée avant d’examiner les dynamiques des sous-ensembles régionaux (Amérique du nord, Amérique latine ; Chine et Inde). Cette approche n’est toutefois pas retenue pour le continent africain, ou pour le Proche et le Moyen-Orient dont l’étude géopolitique n’intervient qu’après avoir étudié les « cultures et les sociétés ». De manière quelque peu paradoxale, cette approche par les « cultures et les sociétés » a quasiment disparu pour les Amériques et l’Asie, où elle n’est mentionnée que dans le commentaire du programme. Son maintien dans le libellé de la séquence pour l’Afrique et le Proche et le Moyen Orient laisse entendre, en creux, que les dynamiques géopolitiques, y seraient davantage sous-tendues par les différences culturelles et sociales que dans les autres sous-ensembles régionaux.

 

Le nouveau programme d’HGGMC de la prépa ECG prend en compte des évolutions géopolitiques récentes

Les libellés des chapitres et séquences du programme montrent la volonté des concepteurs du programme de tenir compte des nouveaux thèmes étudiés par la recherche universitaire, mais également des transformations du monde intervenues depuis 2013.

Le changement des perspectives de la recherche scientifique ou la volonté de relier les aspects historiques du programme aux problématiques du temps présent est perceptible à plusieurs reprises. Dans le premier module, par exemple, il ne s’agit plus seulement d’étudier « la montée des totalitarismes » dans les années 1930, mais plus précisément d’étudier « l’arrivée au pouvoir de régimes autoritaires et totalitaires ». Cette modification, qui peut probablement être reliée à l’attention renouvelée des sciences sociales pour l’analyse des « populismes », est bienvenue. Elle permettra d’approfondir et de clarifier des notions à peine survolées dans le tronc commun de l’enseignement secondaire (voir supra). Dans la partie consacrée à la croissance et au développement, la période de 1913 à 1945 fait désormais l’objet d’un examen spécifique, qui permet d’étudier de façon plus approfondie les rapports entre croissance et crises, entre croissance et guerres, ou les « replis protectionnistes ». Dans le même ordre d’idées, le premier module consacre plusieurs développements aux conflits du « second » XXe siècle et du début du XXIe siècle. Si le caractère « nouveau » des guerres irrégulières, des conflits asymétriques, des « guerres hybrides » et des « guerres sans limites » peut faire débat, leur examen en première année, désormais prévue par le programme, s’avère indispensable.

A l’inverse, la disparition de certaines expressions ou séquences traduit le déclassement – ou le dépassement – de certaines questions. Le « tiers-monde », cité à deux reprises dans le programme de 2013 a disparu en 2021. Dans la même perspective, « la construction européenne et ses enjeux » disparaît du premier module. Le troisième module est certes entièrement consacré à l’Europe, mais celle-ci est désormais considérée comme « une tentative toujours renouvelée d’intégrations multiples visant à dépasser les fragmentations héritées et contemporaines au risque d’en susciter de nouvelles ». On mesure ici brutalement le changement de perspective relatif au projet européen entre deux programmes pourtant distants de moins d’une décennie…

Le « reclassement des puissances » intervenu depuis la fin de la guerre froide est également perceptible dans l’évolution des libellés du programme : en deuxième année, le Japon, qui figurait encore dans le libellé d’une des séquences en 2013, est relégué dans le commentaire du programme de 2021 comme un « pays non cité », dont il faut cependant « souligner le rôle ». A l’inverse, l’Inde « puissance régionale et mondiale » en 2013, est promue dans le programme de 2021 au rang de « possible géant de demain ». Alors qu’en 2013, le rôle du Brésil devait être étudié dans ses « ambitions régionales et mondiales », il apparaît en 2021 davantage relégué aux initiatives d’intégration régionale. Le traitement des émergences en Amérique latine doit désormais mettre en évidence des « processus souvent éphémères, incomplets et émaillés de crises ». Quant à la Russie, reléguée en 2013 dans les commentaires du programme comme un Etat à traiter avec les « Etats non-membres de l’UE », elle fait désormais l’objet, avec « l’espace méditerranéen » d’une séquence spécifique dans le troisième module de deuxième année.

Dans ses attendus, le programme d’HGGMC invite à « s’initier à la prospective et à ses limites ». La lecture des programmes de 2013 et de 2021 souligne à l’encan les difficultés de cet exercice. Quasi absent du programme de 2013 (en dehors d’une mention relative à « l’environnement »), le changement climatique fait son entrée dans le programme en 2021, trente-trois ans après la création du Groupe Intergouvernemental d’Experts sur le Climat (GIEC). Quant aux défis du développement durable, qui doivent être traités « sous l’angle géopolitique et géoéconomique », ils ne font plus l’objet d’aucune énumération là où le programme de 2013 invitait à s’intéresser explicitement à « l’alimentation », à « l’eau » ou… à la « santé », sujet devenu subitement d’intérêt mondial en 2020. Dernière surprise, la question des « inégalités », mentionnée explicitement à deux reprises dans le programme de 2013, a quasiment disparu du programme de 2021, que ce soit dans les libellés de chapitres ou dans les commentaires.

La critique apparaîtra facile pour ceux qui sont chargés, dans des délais souvent contraints, d’élaborer des programmes scolaires ou universitaires, qui doivent être à la fois consensuels, synthétiques et exhaustifs. A l’impossible, nul n’est tenu et les limites de cet exercice de programmation sont connues. La lecture comparative et critique de ces documents institutionnels n’en reste pas moins un exercice salutaire, tant pour repérer les angles morts d’une formation, que pour construire un enseignement répondant pleinement à ses exigences.

Pour télécharger l’ANNEXE – Comparaison des programmes 2013 et 2021cliquer sur l’image ci-dessous :

 

 

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