La mort de Jean-Pierre Elkabbach, la fin du journalisme de papa ?
Le décès récent de Jean-Pierre Elkabbach (1937-2023) a sonné la fin d’une époque comme si le célèbre journaliste de radio et de télévision emportait avec lui une certaine conception du métier et de sa pratique.
Pour les plus jeunes, il n’est pas inutile de rappeler qui fut Jean-Pierre Elkabbach dont la carrière s’est déployée de 1960 à 2023 en particulier à France Inter, à l’ORTF, à TF1, à Europe 1, à LCP, à CNews…. Lui-même a publié un livre de souvenirs publié chez Bouquins « Les Rives de la mémoire » où il met en valeur les principales étapes de son parcours et il livre surtout un remarquable témoignage sur le journalisme tel qu’il l’a vécu et pratiqué. Disons clairement que ce livre met en valeur à la fois l’homme, l’intellectuel et le professionnel. On y apprend beaucoup sur l’histoire de notre temps et sur les médias depuis soixante ans.
Jean-Pierre Elkabbach n’a jamais laissé indifférent et, depuis cinquante ans, il est à la fois adulé et vilipendé.
Au moment de son décès, les thuriféraires de JPE ont insisté sur ses grandes capacités d’intervieweur et sur l’étendue de sa culture générale. Il était d’abord le grand journaliste politique et était devenu une véritable institution, au même titre que son compère des années 70, le non moins respecté Alain Duhamel. Il était en quelque sorte un « patron », ce qu’il a d’ailleurs été à la tête de France Télévision dans les années 90, précisément de 1993 à 1996. Ajoutons qu’il avait acquis une forme d’autorité intellectuelle en préparant et animant son émission « Villa Médicis » sur LCP. Bref, JPE était devenu l’archétype du journaliste classique et incontournable, issu de Sciences Po Paris et l’Institut Français de Presse et qui déroule sa carrière comme un cursus honorum et ignore l’idée de retraite. Un journaliste indispensable, indépassable et indéboulonnable. Qui fait partie de la mémoire collective, à l’instar de ses interviews du leader communiste Georges Marchais ou de son célèbre entretien avec François Mitterrand en 1994.
Cependant, Jean-Pierre Elkabbach a été aussi le journaliste le plus vilipendé, le plus critiqué de sa génération. Son nom a été hué place de la Bastille le 10 mai 1981 et il a été accusé, à de nombreuses reprises, de se montrer trop complaisant avec les puissants et son nom a été très souvent associé au mot « connivence », connivence avec le pouvoir politique, avec Giscard et Sarkozy connivence avec le monde du strass et des paillettes quand il était à la tête de France Télévision.
D’une certaine façon, JPE est devenu l’archétype du journaliste trop proche des pouvoirs, trop soucieux de sa réussite, trop carriériste pour constituer un exemple, un modèle pour les plus jeunes, pour tous ceux qui envisagent de pratiquer ce métier. Il est associé à un monde révolu, celui d’un journalisme installé, quasi-institutionnel, qui s’est surtout épanoui dans un cadre lui-même en partie dépassé, celui de la radio généraliste et des émissions politiques à la télévision.
Avec le décès de JPE, finalement surtout déploré à CNews et Europe1, chaînes qui dépendent du groupe Bolloré où le grand homme a fini sa carrière, un monde s’éteint et d’autres figures vont progressivement s’imposer à la fois dans les médias traditionnels et dans les nouveaux médias et autres sources d’information. Quelques anciens seront encore là pour rassurer les plus âgés, on continuera de voir et d’entendre Gérard Carreyrou, Catherine Nay et Michelle Cotta mais, bientôt, l’on aura tourné la page des années 60 et 70.
Mais, il y aura bien un héritage Elkabbach et la lecture du livre de mémoires qu’il a publié en 2022 fournit une réponse sous forme de testament, sous forme de message et de leçon, notamment pour ceux qui envisagent d’exercer ce métier. Le journalisme d’Elkabbach, c’est celui de la culture et d’une rigueur intellectuelle qui lui ont permis d’interviewer les plus grandes personnalités de son temps. C’est celui du courage, celui du jeune journaliste en Algérie, au cœur de la guerre et des risques d’attentat et de règlement de compte. C’est celui du talent narratif et pédagogique, qui consiste à décrypter l’information et à établir un récit accessible au grand public.
C’est aussi le journalisme politique à la radio et sur les grandes chaînes de télévision, qui n’est pas prêt de disparaître quand on connaît la passion française pour la politique.