DSCG Droit des sociétés : commentaire d’arrêt

Cass. com., 27 mai 2021, n° 19-18.983 (Droit des sociétés)

Dans le cadre de ses préparations au DSCGIpesup propose un commentaire des principaux arrêts en relation avec le programme de Droit en UE 1, par Stephen ALMASEANUvice-procureur chargé des affaires commerciales au tribunal de commerce de Paris et professeur à l’Ipesup.

Droit des sociétés : “Qualification distincte des apports d’un associé et des avances en compte-courant; conséquences”.

https://www.legifrance.gouv.fr

(Bull. Joly Sociétés, n° 07-08, juillet 2021, n° 200g6, p. 18, note J.-F. Barbièri)

 

Il est toujours bienvenu de lire les arrêts de la Cour de cassation dans lesquels cette dernière a l’occasion de rendre des décisions claires sur la nature du compte courant d’associé, et sur la dissociation qui en découle nécessairement entre l’associé en tant que tel d’un côté, et l’associé en tant que prêteur en compte courant de l’autre. En effet, la distinction n’est souvent pas aussi évidente pour les praticiens, ce qui conduit à de sérieuses déconvenues.

 

En l’espèce, un associé d’une SARL avait un compte courant créditeur au moment où en 2004, il cédait ses actions. En 2013, donc neuf années après avoir quitté la société en tant qu’associé, il demanda à la société le remboursement de son compte courant, ce qu’elle refusa en relevant la prescription : selon la société, le délai de prescription de l’action en remboursement du solde créditeur étant de cinq ans – il était auparavant de 10 ans, mais la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription a en effet ramené à cinq le délai de droit commun de l’article 2224 du Code civil comme celui des obligations commerciales de l’article L. 110-4 du Code de commerce – et ce délai ayant commencé à courir lors de la perte de la qualité d’associé de l’intéressé, en 2004 donc, date de vente de ses parts sociales.

 

La Cour d’appel d’Amiens, dans son arrêt du 28 mars 2019, rejeta cet argument, en donnant raison au titulaire du compte courant : son action n’était pas prescrite puisque c’est sa première demande de remboursement – en 2013, rappelons-le – qui a rendu les sommes exigibles, et absolument pas la perte de sa qualité d’associé, les deux qualités, associé et prêteur en compte courant, étant indépendante. Ici, l’ex-associé avait demandé son remboursement le 5 juin 2013 : il avait donc cinq ans à compter de cette date pour faire valoir ses droits en justice, ce qu’il avait finalement fait en saisissant un tribunal le 27 décembre 2016.

 

La Chambre commerciale rejette le pourvoi formé par la société, la Cour d’appel d’Amiens ayant parfaitement appliqué le droit existant en la matière :

 

« 4. Après avoir rappelé que le compte courant d’associé dont le solde est créditeur s’analyse en un prêt consenti par l’associé à la société et qu’en l’absence de terme spécifié, l’avance ainsi consentie constitue un prêt à durée indéterminée dont le remboursement peut être sollicité à tout moment, sauf stipulations contraires, l’arrêt énonce que les qualités d’associé et de prêteur de l’associé titulaire du compte sont indépendantes, de sorte qu’à défaut de clauses contractuelles contraires, la cession de ses titres par un associé n’emporte pas cession de son compte courant, faisant ressortir qu’elle n’emporte pas non plus sa clôture, l’associé cédant conservant sa qualité de créancier de la société. L’arrêt énonce ensuite que le délai de prescription de l’action en remboursement du solde créditeur du compte, passé de dix à cinq ans depuis l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, ne court qu’à compter du jour où l’associé cédant en demande le remboursement, ce qui le rend exigible. De ces énonciations, la cour d’appel a déduit exactement que la cession de ses titres par [l’intéressé] n’avait pas eu d’incidence sur la possibilité, pour celui-ci, de solliciter le remboursement de son compte courant, que le délai de prescription de l’action en paiement de son solde n’avait couru qu’à compter du 5 juin 2013, date de la demande de remboursement de [l’intéressé], et que l’action, introduite par ce dernier le 27 décembre 2016, n’était ainsi pas prescrite ».

 

La logique est donc claire : les apports font de celui qui les effectue un associé, les avances en compte courant, elles, font de celui qui les effectue un prêteur, qualification distincte, même si elle peut concerner la même personne, qui a alors les deux qualités de façon indépendante. C’est la raison pour laquelle il ne faut absolument pas céder à la pratique des affaires qui parle « d’apports en compte courant » puisque cette expression mélange les deux situations juridiques… Du côté du compte courant, et donc du prêt, on applique le contrat alors conclu, notamment quant à sa durée et l’existence ou non d’intérêts, à la déductibilité fiscalement limitée, on le sait ; profitons de cette occasion pour rappeler l’assouplissement par la loi Pacte du 22 mai 2019 de la réglementation des comptes courants contenue dans l’article L. 312-2 du Code monétaire et financier – car les avances en compte courant sont des exceptions au monopole bancaire de réception des fonds remboursables au public –, le nouveau texte permettant qu’une avance soit consentie par un associé quel que soit le niveau de sa détention de capital de la société, l’expression « détenant au moins 5 % du capital » ayant été supprimée ainsi que la précision nouvelle donnée de la validité des avances en compte courant effectuées par les directeurs généraux, les directeurs généraux délégués et les présidents de sociétés par actions simplifiées.

 

C’est en raison de cette distinction juridique normalement claire que le professeur Barbièri, dans sa note au Joly Sociétés sous le présent arrêt, en profite pour rappeler son incompréhension de l’arrêt dans lequel la Cour de cassation a interdit à un associé, par ailleurs prêteur en compte courant, de se fonder sur l’article 1857 du Code civil pour obtenir le remboursement de son compte en exécution du contrat passé, par  un autre associé de la société civile emprunteuse au titre de l’obligation aux dettes de ce dernier, après de vaines et préalables poursuites contre la société. La Cour avait alors considéré que seuls les « tiers » pouvaient ainsi agir contre les associés au titre de l’obligation aux dettes sociales de ces derniers, et que l’associé prêteur en compte courant n’était à cet égard pas un tiers (Cass. com., 3 mai 2012, n° 11-14.844, Bull. Joly Sociétés, juillet 2022, p. 18, note crit. J.-F. Barbièri)…

 

Espérons que le présent arrêt, classique mais particulièrement clair, soit annonciateur d’un revirement par rapport à la décision beaucoup plus critiquable de 2012 !

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