DSCG Droit pénal des affaires : commentaire d’arrêt

Cass. crim., 17 février 2021, n° 20-82.068 (Droit pénal des affaires)

Dans le cadre de ses préparations au DSCG, Ipesup propose un commentaire des principaux arrêts en relation avec le programme de Droit en UE 1, par Stephen ALMASEANUvice-procureur chargé des affaires commerciales au tribunal de commerce de Paris, professeur à l’Ipesup.


www.courdecassation.fr

(Revue fiduciaire, Feuillet Hebdo n° 3883 du 18 mars 2021)
(Droit des sociétés, avril 2021, com. 55, note R. Salomon)

(JCP éd. E., 8 juillet 2021, 1346, note J.-L. Navarro)


Cet arrêt de la Chambre criminelle mérite d’être étudié car il illustre parfaitement le raisonnement suivi en droit pénal, à l’occasion d’une affaire où étaient en cause des comptes sociaux infidèles.

A la suite d’une expertise réalisée après la défaillance de plusieurs sociétés, il est découvert que les comptes sociaux consolidés établis par l’ancienne direction n’étaient ni sincères ni ne donnaient une image fidèle de la situation des sociétés concernées, notamment en raison d’une surévaluation des actifs (effectuée pour dissimuler les conséquences de certaines fautes de gestion).

La nouvelle direction se constitue alors partie civile devant le doyen des juges d’instruction du chef de présentation de comptes annuels inexacts. Le magistrat instructeur ayant conclu à un non-lieu, un appel est formé par la nouvelle direction.

Il est incontestable qu’à la lecture des faits on pense immédiatement, dans cette histoire, au délit de présentation de comptes infidèles de l’article L. 242-6, 2° du code de commerce, punissant d’un emprisonnement maximum de 5 ans et de 375 000 euros d’amende les dirigeants d’une société anonyme ayant publié ou présenté aux actionnaires, « même en l’absence de toute distribution de dividendes, des comptes annuels ne donnant pas, pour chaque exercice, une image fidèle du résultat des opérations de l’exercice, de la situation financière et du patrimoine, à l’expiration de cette période, en vue de dissimuler la véritable situation de la société ».

Et oui, mais, justement, il faut remarquer que ce délit est prévu pour les sociétés anonymes par l’article L. 242-6, 2° que nous venons de citer, texte qui s’applique aux SAS en vertu de l’article L. 241-1 du même code, et que des dispositions identiques sont prévues pour les SARL par l’article L. 241-3, 3° du même code.

On retrouve là l’exigence essentielle de l’élément textuel : en droit pénal, il n’y a d’infraction que si elle est prévue par un texte, et l’incrimination (c’est-à-dire le texte de l’infraction) doit toujours être interprétée de façon stricte : dans le délit de présentation de comptes infidèles, ce sont les comptes de SARL, de sociétés anonymes et de SAS qui sont concernés, pas ceux d’autres sociétés, ni les comptes consolidés, c’est-à-dire ceux établis au niveau du groupe de sociétés en application des articles L. 233-16 et s. du code de commerce).

En droit français, il n’existe pas de délit de présentation de comptes annuels consolidés inexacts. Il est donc impossible de poursuivre, et a fortiori de condamner, des dirigeants pour cela. Cela explique le non-lieu prononcé.

 

Est-ce à dire qu’aucun délit n’a été constitué ?

La Chambre criminelle répond par la négative : il est tout à fait possible, dans un tel cas, de poursuivre et de condamner les anciens dirigeants pour faux et usage de faux, un délit puni par principe d’un maximum de 3 ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. En effet, le faux est défini par l’article 441-1 du code pénal comme « toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d’expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d’établir la preuve d’un droit ou d’un fait ayant des conséquences juridiques ». Ici, les comptes consolidés comportant des actifs surévalués, utilisés pour vendre les sociétés concernées, peuvent sans problème constituer des faux et un usage de ces faux. Ce n’était pas le cas ici pour des raisons de fait, mais cela aurait pu l’être.

Au passage, même si la Cour de cassation ne le mentionne pas, les faits ici reprochés auraient également pu être constitutifs d’une escroquerie de l’article 313-1 du code pénal, les comptes consolidés aux actifs surévalués étant utilisés comme manœuvre déterminante pour tromper l’acheteur des sociétés concernées…

On voit bien ici que le choix de la qualification pénale est riche de conséquences… Et n’en disons pas plus : ici, n’y avait-il pas, de toute façon, et au civil cette fois, un dol de nature à entraîner la nullité de la cession des sociétés concernées pour vice du consentement (article 1137 du code civil) et la responsabilité, toujours civile, du vendeur ?

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