Analyse du programme d’ESH

Publiés au Bulletin officiel spécial du 11 février 2021 du ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, les nouveaux programmes d’Economie, de Sociologie et d’Histoire du Monde contemporain et d’Economie approfondie s’appliqueront aux étudiants de la classe préparatoire économique et commerciale générale (ECG) à compter de septembre 2021.

La réforme du lycée a supprimé les filières du bac général (les anciennes voies S, ES, et L), au profit d’enseignements dits de «  Spécialités  » et d’Options, ce qui modifie le recrutement dans les CPGE commerciales.

Dans l’architecture de la nouvelle ECG, après une orientation soit en mathématiques appliquées soit en mathématiques approfondies, les étudiants ont la possibilité de choisir entre un enseignement d’Histoire-Géographie et Géopolitique du monde contemporain (HGGMC) ou d’Economie, Sociologie et Histoire du monde contemporain (ESH). Ce dernier cherche à éclairer la compréhension du monde contemporain par la présentation d’analyses économiques et sociologiques, dans une perspective historique.

En ESH, c’est l’économie (systématiquement appuyée par l’analyse historique et l’observation des faits depuis le révolution industrielle) qui a la plus grande part du programme. La sociologie (elle aussi accompagnée de perspectives historiques) n’occupe qu’une place mineure (20 à 25% du programme).

Il n’est nullement fait état de la nécessité d’avoir suivi la spécialité SES au cours de la scolarité au lycée pour aborder l’enseignement d’ESH en classe préparatoire. Le préambule mentionne que le programme est effectivement structuré en quatre modules semestriels “dont le premier a pour objectif de faciliter la transition entre l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur, en favorisant l’adaptation des étudiants à ce nouvel enseignement.” Néanmoins, dans son contenu, le programme reprend des thématiques qui ont pu être abordées en Première ou en Terminale de l’enseignement dans la spécialité et on peut supposer que des étudiants déjà familiarisés avec les notions et les raisonnements pourraient avoir là une facilité à aborder cette filière.

Les grands défis économiques (et dans une moindre mesure sociaux) sont étudiés à la lumière des modèles d’analyse élaborés dans les différentes disciplines. Ces constructions théoriques sont rapprochées de la réalité des faits pour en mesurer la portée explicative et le caractère historiquement situé. C’est une caractéristique de ce nouveau programme que d’insister davantage sur l’histoire de la pensée, économique et sociale, et sur l’histoire des disciplines.

Le préambule du programme mentionne les compétences que l’enseignement d’économie, sociologie et histoire du monde contemporain vise à apporter aux étudiants : compréhension du monde contemporain, synthèse, analyse et capacité à argumenter.

Enfin, le nouveau programme est assorti de commentaires parfois plus détaillés que le précédent. Ces commentaires ont pour objectif d’expliciter l’orientation globale et visent aussi à borner l’étendue des connaissances exigibles.

 

Le changement le plus notable : la fusion de l’économie approfondie et de l’économie, sociologie et histoire du monde contemporain

La plus grande nouveauté par rapport au cursus proposé auparavant en ECE est l’intégration du programme d’Economie Approfondie dans celui d’ESH, baptisé sobrement ESH (pour « Economie, Sociologie et Histoire du Monde contemporain »).

Les savoirs et compétences de l’ancien programme d’économie approfondie (microéconomie et macroéconomie) ont été distribués dans les quatre modules d’ESH qui constituent la trame des deux ans d’enseignement et qui ne changent pas en profondeur.

Pour autant, cette “fusion” (à horaires constants de 8h hebdomadaires) n’est pas sans incidence. Elle devrait aboutir à ce que la totalité du volume horaire de cette discipline soit confiée à des professeurs de Sciences économiques et sociales (là où certains établissements pouvaient auparavant pratiquer une répartition conduisant à attribuer l’EA – 2h – aux professeurs de SES et l’ESH – 6h – au moins en partie aux professeurs d’histoire).

Concrètement cela signifie que les quatre modules que sont “Les fondements de l’économie et de la sociologie”, “Croissance et développement”, “La mondialisation économique et financière” et “Déséquilibres, régulation et action publique” sont émaillés de références à des théories de la science économique (micro comme macro), à des travaux de sociologie ou à des courants de pensée, voire des apports d’auteurs (sans qu’il ne soit fait mention d’aucun nommément) issus de ces deux disciplines.

Néanmoins, contre une dérive possible de l’enseignement vers des connaissances trop techniques, il est rappelé : “L’étude des fondements et des analyses théoriques de l’économie et de la sociologie ne doit pas faire perdre de vue la dimension historique. Il s’agira, dans une perspective dynamique, d’expliquer les faits économiques et sociaux par l’analyse ou d’éclairer l’analyse par les faits.”

La réécriture du programme est aussi l’occasion d’exprimer la volonté, plus marquée qu’auparavant, de présenter les sciences humaines comme des disciplines insérées dans leur temps dans lesquels les savoirs comme les méthodes évoluent.

Ainsi, apparaît dès la première phrase du préambule : “L’enseignement d’économie, sociologie et histoire vise à apporter aux étudiants les instruments d’analyse et de compréhension du monde contemporain. Pour cela, il associe trois approches complémentaires : la science économique ; l’histoire de la pensée et des faits économiques et sociaux ; la sociologie”. Cette tendance est également exprimée clairement pour la sociologie, dont les deux sous-axes dans le Module 1 sont :

  • 1.3.1. Les grands courants de la pensée sociologique depuis le XIXe siècle
  • 1.3.2. La pluralité des méthodes sociologiques

 

Peu de nouveaux objets d’étude mais d’autant plus remarqués, quelques disparitions

L’apparition de nouveaux objets concerne la sociologie, dont l’enseignement est essentiellement concentré dans les premiers modules, soit en première année.

L’axe sur les fondements de la sociologie est ainsi introduit :

“Il s’agira de montrer, à travers le thème « individu et société », la nature de la contribution de la sociologie à  la connaissance du social et comment elle s’est constituée comme une discipline propre, avec ses concepts,  ses méthodes, ses auteurs.” 

Apparaît ici un thème explicite et la nécessité de faire avec les étudiants de l’histoire de la pensée (là où auparavant, il s’agissait d’affirmer que la sociologie était une “discipline constituée”, avec “ses auteurs reconnus”)

On trouve également les précisions suivantes :

“On montrera, à l’aide d’exemples, que l’innovation sociologique est passée par le renouvellement théorique comme par le renouvellement des objets.” et “les outils d’enquête, nécessairement pluriels, opèrent des rapprochements avec d’autres sciences sociales (ethnologie, science politique, économie et  histoire).”

Il s’agit donc d’une perspective assez nouvelle, qui permet d’aborder l’évolution des méthodes de travail et le renouvellement des centres d’intérêt des chercheurs en fonction de problèmes historiquement construits. La prise en compte d’approches pluridisciplinaires correspond à l’émergence de recherches de premier plan, probablement moins cloisonnées (on peut penser aux travaux dans le domaine des inégalités ces dernières années).

Cette ouverture reste cependant bornée par la thématique générale (suffisamment vaste cependant pour intégrer de très nombreux travaux) de l’axe, à savoir “individu et société”.

Un deuxième thème s’invite (ou du moins s’autonomise, car il était implicite dans le programme d’histoire du monde contemporain) est l’étude de la consommation. Déjà enseignée en économie approfondie à travers l’étude du choix du consommateur ou dans les modèles mettant en avant la consommation globale, ce thème acquiert désormais une dimension historique puisqu’il s’agit de montrer que “les modes de vie – notamment la consommation – se transforment en raison de multiples  facteurs, sociologiques, démographiques et environnementaux”.

Un champ de la recherche en sociologie fait son entrée au programme (champ particulièrement fécond ces dernières années, ce dont témoigne la création de la chaire “sociologie du travail créateur” au Collège de France occupée par P.M. Menger), à travers l’axe “2.3.3. Éléments de sociologie du travail et des organisations”. Dans le programme précédent, il n’était fait allusion qu’aux recherches portant sur l’identité au travail ou au travail comme facteur de production. Désormais “L’analyse se focalisera sur la manière dont la sociologie du travail rend compte de l’organisation du travail, des relations de travail, de la représentation des salariés, des professions et des inégalités professionnelles (sexes, statuts d’emploi).”

Il s’agit là d’objets nouveaux qui font écho à l’enrichissement observé également sur l’étude de l’entreprise : “On s’interrogera sur le rapport de l’entreprise à l’intérêt général”, ajout, là aussi, dans l’air du temps (avec le rapport Notat-Senard de  2018, et le vote de la loi PACTE en 2019).

Ce thème “Entreprise et organisation” trouve d’ailleurs une plus grande cohérence puisqu’on se propose d’y croiser les approches historique, sociologique et économique. À l’étude des “transformations de l’entreprise et de sa gouvernance depuis le XIXe siècle” succède ainsi un axe portant sur “Concurrence imparfaite et stratégies des firmes” avant d’en arriver à la sociologie du travail et des organisations.

Enfin, les étudiants devront connaître les analyses de la structure sociale (ce qui n’est pas nouveau), mais aussi de la mobilité sociale. L’introduction de ce thème dans le module 2 (soit en première année) ne surprend pas, il complète l’étude de la transformation de la structure sociale mais demandera un investissement assez important puisque le programme précise : “L’analyse de la mobilité sociale nécessitera de s’interroger sur les instruments de sa mesure et la définition des populations concernées. On étudiera les trajectoires individuelles et collectives.”

Si le programme s’est enrichi des points précédents, on notera qu’il s’allège d’un sous-thème. L’item “Économie et sociologie du développement” qui figurait de façon autonome dans le programme précédent a disparu. Même si la question des inégalités de développement et la diversité des stratégies nationales restent enseignées, leur étude est désormais rapprochée du développement connu par les pays développés au cours des XVIIIe et XIXe siècles (avec probablement une invitation à la comparaison). Les problèmes particuliers des pays les moins avancés ou en développement tendent à s’effacer au même titre que l’exploration du champ spécifique de la recherche qu’est l’économie du développement.

 

Une répartition de l’enseignement entre première et deuxième année rendue globalement plus cohérente – les modules de deuxième année quasiment inchangés

Les quatre modules sont présentés explicitement dans le préambule comme semestriels, ce qui semble imposer une progression à respecter sur les deux ans.

Le nouveau programme tente de remédier à certains défauts de l’ancien qui conduisaient par exemple à étudier un phénomène pour partie en première année et pour partie en deuxième année. On peut prendre pour exemple le module 2 “croissance et développement” (qui apparaissait ainsi dans le programme de 2013 avec mention de bornes chronologiques “du XIXe siècle à nos jours”), les crises en ont été retirées et sont reléguées à un autre module (le module 4), ce qui permet de les aborder intégralement en deuxième année. Ainsi, le Module 4, “Déséquilibres, régulation et action publique”, intègre des éléments d’économie approfondie et contient désormais cet axe : “4.2.1. Fluctuations économiques et politiques de régulation des cycles” qui associe des connaissances auparavant réparties entre EA et ESH sur les deux années. Le thème est étudié à partir du XIXe siècle (on pourra donc en conclure que le module sur la croissance en première année n’a pas vocation à s’étendre sur l’irrégularité de la croissance) et il permet d’aborder, en même temps, la question de la réaction des pouvoirs publics (les politiques publiques) aux fluctuations de la croissance.

La même cohérence n’a cependant pas été appliquée strictement partout : si les défaillances de marché sont vues en première année, l’intervention publique face à ces défaillances est du ressort du module 4 (avec le reste des politiques publiques).

Dans l’ensemble, les changements paraissent très limités sur la deuxième année : le volet sociologique ne s’enrichit pas et est quasiment absent (sauf peut-être à la marge sur la question de la justice sociale). Les changements apportés aux thématiques d’économie sont mineurs : par exemple sur le module 3, dont l’axe 3.3 porte sur l’intégration européenne, le programme précise “On abordera la question de l’Europe sociale à travers les instruments de coordination et d’harmonisation  déjà mis en place en matière d’emploi et de politiques sociales. On s’interrogera sur la nature du modèle social européen.” La formulation de cette dernière phrase s’éloigne un peu de la formulation précédente : “On montrera que le modèle social européen est un des grands enjeux de l’Europe” (programme de 2013).

 

Pour conclure

C’est donc un programme plus résolument économique qui est désormais proposé aux élèves de cette filière, ce qui différencie mieux ce parcours du cursus proposant Histoire Géographie et Géopolitique.

Les changements dans le programme, qui restent modestes, ne sont probablement pas de nature à révolutionner les épreuves des concours. Néanmoins, il semble désormais indispensable que les copies intègrent les apports théoriques de l’économie et de la sociologie.

A l’oral, des savoir-faire (explicitement au programme) peuvent faire l’objet de questions assez précises, notamment lors de la deuxième partie de l’épreuve, comme c’est déjà le cas aux oraux de l’ESCP.


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